Pourquoi Facebook devrait censurer cette pochette ?

24 novembre 1992 – Bizarre Ride II-The Pharcyde – The Pharcyde

De par ses tonalités jazzy et ses drôles de paroles, tour à tour légères et loufoques, Bizarre Ride II-The Pharcyde, le premier album de The Pharcyde se détache des productions gansta rap de la côte ouest. C’est sans doute cette rafraîchissante originalité qui constitue une alternative au pessimisme hardcore de l’époque qui en a fait 30 ans plus tard un classique incontournable de la scène hip-hop alternative.

On retrouve cette démarcation et cet humour jusque sur la pochette. À première vue, elle n’a rien d’exceptionnel. Traitée comme une fresque murale, elle représente les membres du groupe dans un wagonnet prêt à rentrer dans une attraction foraine dont le nom donne le titre de l’album : Bizarre Ride II. A y regarder de plus près, la couleur et la forme de la porte font penser à celle d’une vulve ouverte. Mais le fantasme est de courte durée car l’ouverture se referme comme un diaphragme à iris dont les lamelles pointues et tranchantes transforment le tunnel de l’amour en tunnel de l’horreur. Face à l’inévitable chute dans ce Vagina dendata, les membres du groupe hurlent de peur. L’un tente de fuir, un autre s’évanouit. A une époque où le Sida fait des ravages, le groupe cherche-t-il à mettre en garde contre des relations sexuelles à risque ?

Au dos de l'album, l'histoire finit bien. Recraché par la bouche de l'ogresse, le groupe est beaucoup plus serein qu'à son entrée, comme soulagé.

Il faut poser la question à  Richard Wyrgatsch II. Plus connu sous le nom de Slick, c'est cet artiste diplômé du Art Center College of Design de Los Angeles qui a réalisé la pochette. L'histoire est en fait beaucoup plus simple.

Un peu défoncé, il a lancé l’idée des montagnes russes puis de leur transformation en une femme dans laquelle le groupe entrerait par le vagin. Un membre du groupe a alors suggéré de s'inspirer d'Ebony Ayes, une actrice porno black à l’opulente poitrine. Internet n’existant pas, Slick s'est procuré de nombreuses photos de Wooden Roller Coasters, des montagnes russes ancienne génération construites en bois, et notamment de Colossus Six Flags Magic Mountain, une attraction californienne inaugurée en 1978 à Valencia (Californie). 

Une fois terminé, Slick se rend compte que son dessin ne passera pas la censure. Une fois n'est pas coutume, le format CD va venir au secours de la pochette. Slick plie et replie l'image pour ne laisser apparaître qu’un détail tellement gros qu’il en devient méconnaissable.

C'est ainsi que dépourvu de tête, de jambes et de bras, ce tronc mécanique aux cuisses écartées et offertes nous fait penser à un autre tableau : L’Origine du Monde. 

Si Slick n’a jamais revendiqué cette inspiration, d’autres pochettes reprennent directement le tableau de Courbet ou s'en inspirent. En 1988, Sator, un groupe de rock suédois l'utilise ‎pour son single « Oh Mama » (1988). 

1988 – « Oh Mama » – Sator

Traité en bichromie, le tableau perd beaucoup de sa provocation. Tel n’est pas le cas des recréations que propose La Femme, un groupe de surf rock électro. Pour « Le Podium » (2010) et « From Tchernobyl With Love » (2011), le groupe recrée le célèbre tableau de Courbet par la photographie. Ce qui choque sur les pochettes de La Femme et les rend inacceptables pour la censure c’est, comme sur la recréation du Déjeuner sur l’herbe par Malcom MacLaren pour Bow Wow Wow, l’extrême réalisme qu’apporte la photographie.

2010 – « Le Podium » – La Femme. Pour « le Podium », La Femme s’autocensure en emballant la pochette dans une pochette plastique sérigraphiée qui cache sans cacher. Mais ce n’est semble-t-il pas suffisant et lors des réimpressions, le groupe cache complètement l’image en prenant soin d’indiquer en gros qu’elle a été censurée. (« This is not La Femme actual cover because it got censure » : il ne s’agit pas de la véritable pochette car celle-ci a été censurée.)

 Pire, La Femme pousse encore plus loin la provocation en proposant une relecture avec un modèle de couleurs. Et si l’origine du Monde était noire ?

2011 – « From Tchernobyl With Love » – La Femme