Que signifie « l’effet vache qui rit » sur Ummagumma ?

25 octobre 1969 – Ummagumma – Pink Floyd.

Pink Floyd a très vite mesuré l’importance de l’image et du graphisme dans la musique. Avec eux, l’album n’est plus seulement un disque. Il devient une œuvre multimédia où l’image et le son sont indissociables. Dans une telle optique, il n’est pas étonnant que le Floyd soit tout aussi célèbre pour ses pochettes que pour sa musique.

Les pochettes du Floyd en particulier et celles du studio graphique Hypgnosis en général cherchent plus à surprendre qu’à refléter un univers musical. Que l’on songe à la vache d’Atom Heart Mother par exemple.

Comme souvent chez Hypgnosis, le surprenant, le surnaturel, l’extraordinaire naît du contraste entre un univers banal et la présence d’un élément incongru. Ici, nous nous trouvons dans une maison banale : murs blancs, plinthes blanches, moquette, rideaux verts, chaise en bois.

Le groupe est photographié dans une mise en scène qui permet de distinguer chaque membre. David Gilmour et Roger waters sont assis et nous regardent : Gilmour au premier plan sur une chaise, dans l’embrasure de la fenêtre ; Waters au second plan, par terre, à l’extérieur sur la terrasse. Plus loin se détachent les deux autres membres, Nick Mason d’abord, qui debout scrute le ciel puis Richard Wright qui fait la chandelle ou si l’on veut rester dans un cadre plus psyché Sarvangasana, une posture de hatha yoga. Mais on est tout de même loin de l’univers psyché développé par le groupe. C’est sans doute le contraste avec les pochettes précédentes qui est le plus surprenant. Mais, en regardant de plus près, cette pochette n’est pas aussi banale qu’il y paraît.

La partie gauche reprend dans un tableau mural l’ensemble de la pochette de l’album qui, à son tour, est reprise dans le tableau mural, etc. dans un effet de mise en abyme dit plus prosaïquement « effet vache qui rit ».

Selon une logique implacable, cet effet devrait se prolonger jusqu’à l’infiniment petit mais, contre toute attente, le 5^e tableau n’est pas une reprise du premier mais de la pochette de A Saucerful of Secrets, l’album studio précédent du groupe. L’album live (disque 2 d’Ummagumma) reprend d’ailleurs deux chansons de cet album.

La pochette de A Saucerful of Secrets se cache au plus profond de la pochette d’Ummagumma. Tout du moins sur le vinyle car la version CD, dans le poster qu’elle propose, continue l’effet « vache qui rit » jusqu’à ce qu’invisibilité s’ensuive.

En 1982, Utopia reprend l’idée de la mise en abyme pour son album Swing to the Right. Quant à l’autodafé, elle a véritablement existé au États-Unis et concernait des disques des Beatles.

Différentes prises de vues lors de la réalisation de la pochette. L’ordinateur n’existant pas, tout était réalisé au scotch et au cutter…

Autre particularité, les membres du groupe changent de place dans chaque tableau pour prendre la pose d’un autre. Finalement, aucun membre n’a, selon ce principe, une place plus ou moins importante qu’un autre. Tous se retrouvent à un moment ou un autre à la première place, une manière peut-être de suggérer que chacun occupe une place d’égale importance (d’ailleurs, sur l’album studio, chacun propose un morceau de sa composition) mais que tous forment un groupe (comme on peut l’entendre sur l’album Live). Individuation et complémentarité semblent les maîtres mots du double album, surtout à un moment où le groupe doit gérer l’absence de Barett et présenter Gilmour au grand public. Notons qu’après cet album, l’on ne reverra plus de photo du groupe sur une pochette d’album, tout du moins sur l’extérieur.

10 ans plus tard, Hypgnosis jouera à nouveau sur les points de vue mais de manière différente avec la pochette de Through the Out Door de Led Zeppelin.

L’auditeur attentif mesure alors de manière visuelle le parcours du groupe, de Syd Barett à David Gilmour. Les derniers seront les premiers sans pour autant que tout change réellement comme peut le laisser suggérer la présence de la bombonne de verre qui n’est pas sans rappeler celles de la pochette précédente.

Certains objets attirent par leur emplacement quelque peu incongru notre regard et nous invitent à nous interroger sur leur présence. Nos interrogations demeureront pourtant sans réponses. Durant des années, les fans européens se sont creusé les méninges pour expliquer la présence de la BO de Gigi. Sans comprendre que sa présence résidait justement dans cette interrogation sans réponse et n’avait pas d’autre signification. Gigi est une comédie musicale américaine de Vincente Minelli réalisée en 1958 d’après le roman de Colette. Pour trouver une explication à sa présence, certains ont tenté sans résultat de synchroniser la musique de l’album avec le film comme d’autres le feront plus tard avec Le magicien d’Oz et The Dark Side of the Moon ou 2001 l’Odyssée de l’espace et Echoes

Les fans américains et canadiens se poseront sûrement la question de la signification d’un carré blanc à côté de David Gilmour. En effet, pour des questions de droits de reproduction, la pochette a été effacée à l’aéro.

Une autre disparition plus anecdotique concerne la jeune femme que l’on voit en compagnie de Waters à l’intérieur de l’album. Il s’agit de Jude, l’amie d’enfance et la première femme de Roger Waters. Si en 1969, tout va pour le mieux, vingt ans après lors de la réédition de l’album en CD, le couple a divorcé et la présence de Jude n’est plus vraiment désirée…

Intéressante aussi la manière dont la typo acquiert comme sur la pochette de St Peppers deux ans avant, une dimension matérielle par la présence de lettres posées au sol.

Le matériel exposé au dos de la pochette, disposé en forme de nez d’avion sur la piste de l’aérodrome de Biggin Hill (sud de Londres) et gardé par deux roadies (une fois n’est pas coutume, il s’agit de Stiles Alan et Peter Watts, le père de Naomi) a de quoi surprendre.

L’idée de ce cliché revient à Nick Mason qui était tombé dans un magazine sur une photo qui détaillait de cette manière tout l’armement d’un Phantom.

C’est cette débauche de matériel, ces excès de technique et d’effets spéciaux qui ne cesseront d’augmenter et finiront par rendre la musique inaccessible au commun des ados apprentis musiciens que le punk reprochera au rock progressif en général et au Floyd en particulier.

Pour l’anecdote, ce matériel fut volé peu de temps après la prise de vue…

25 mai 1978 – David Gilmour – David Gilmour ça ressemble à Pink Floyd mais c’est Gilmour. Ça ressemble à Umagumma mais c’est le premier album éponyme du chanteur-guitariste. Pour du sous-Floyd, le studio fait du sous-Hipgnosis. Les effets sont toujours là : jouer sur la profondeur de champs en positionnant des personnages de manière détachée, abolir la profondeur de champs en leur donnant autant de netteté les uns les autres quel que soit leur positionnement sur l’image. Mais la magie n’y est plus.