17 Juillet 2017
En 1976, John Berg, DA chez Columbia remporta un Grammy Award pour la pochette de Chicago X. Ce n’était pas la première fois qu’il était nommé pour une pochette de Chicago. Déjà en 1970 pour Chicago II, puis en 1973 pour Chicago VI, il faisait partie des favoris. Au vu des pochettes des 9 albums précédents, on peut se demander pourquoi la dixième lui a valu l’honneur du jury et encore plus pourquoi, quatre ans plus tard celle de Chicago XIV fut nominée. Car peu de chose différencie les pochettes de Chicago qui sont toutes basées sur la même construction.
En 1969, Chicago Transit Authority sort son premier album éponyme. Le groupe a pris pour nom celui de la compagnie de transports en commun de la ville dont les musiciens sont issus. Cette pochette noire avec son logo central (minuscule ou occupant tout l’espace selon les versions) apparaît rétrospectivement comme un brouillon pour les pochettes à venir.
28 avril 1969 – The Chicago Transit Authority – The Chicago Transit Authority
L’année suivante, le directeur artistique John Berg demande à Nick Fasciano de réaliser le logo du groupe rebaptisé plus simplement Chicago en s’inspirant de celui de Coca-Cola. Avec Chicago II, Berg inaugure une série digne des Exercices de Style de Queneau.
Le logo de Coca-Cola a été réalisé à la fin du XIXe siècle par Frank Mason Robinson (1845-1923) dans un style victorien à partir des alphabets Spencerian (de Platt Rogers Spencer) très populaires à l’époque. Ces alphabets en script étaient destinés à être utilisés pour la correspondance d’affaire avant que l’usage de la machine à écrire ne se généralise. C’étaient généralement des calligraphies ovales et élégantes qui pouvaient être reproduites rapidement tout en demeurant extrêmement lisibles. Du coup, si la marque est protégée, son logo, réalisé à partir d’une typographie tombée dans le domaine public, lui, ne l’est pas. Bien qu’il ait été affiné au cours des décennies suivantes, ce logo demeure très maniéré, ce qui renforce son appartenance à une marque dans la mesure où il est facilement reconnaissable. C’était donc un véritable exercice de style de repartir de lui pour créer le logo de Chicago.
Quasiment sans exception, toutes les pochettes de Chicago, y compris les Best of, ne comporteront pas de titre. En revanche, toutes présentent le logo du groupe, toujours au centre et de même dimension. 14 pochettes seront ainsi réalisées de la sorte par John Berg, rendant difficile toute reconnaissance et individualisation, à l’image d’un groupe dont les membres sont visuellement anonymes. Au début, seul l’effet matière du fond sur lequel s’intègre le logo varie : alu, tissu, bois, blanc…
Petit à petit, le logo qui semble simplement collé sur un fond assez neutre laisse place à une conception graphique plus élaborée où il interagit avec le fond.
La persévérance de John Berg porte ses fruits lorsque Chicago X se voit gratifié d’un Grammy. Et au vu des pochettes précédentes, on comprend assez bien pourquoi ce dixième opus inspiré des barres de chocolat Hershey a reçu une telle distinction.
Pour Chicago X qui lui valut un Grammy, John Berg se serait inspiré des barres de chocolat Hershey.
John Berg signera encore Chicago XI qui replace Chicago sur une carte de l’Illinois dont le groupe est originaire. La boucle semble bouclée.
Car l’exercice a ses limites. Pour cela, il suffit d’imaginer les œuvres complètes d’un Balzac avec des couvertures différentes mais sans titre. Difficile au bout d’un moment de s’y retrouver. Aussi peu d’évolution dans l’identité visuelle risque de nuire à l’image du groupe et de sa musique.
Chicago est parvenu à un tel point qu’il est à la fois difficile de continuer dans cette voie mais aussi impossible d’en changer. En 1978, l’expérience catastrophique d’Hot Streets, le premier album du groupe à comporter un titre, décourage la maison de disques dans la recherche d’une nouvelle identité.
Ainsi, quand en 1979, le groupe rompt avec son manager James Guercio et devient une entité côte ouest, Tony Lane, leur nouveau DA de Los Angeles, poursuit l’exercice de style entamé par John Berg. Il réalise ainsi Chicago XIII où il propose une illustration en perspective du célèbre logo transformé en gratte-ciel.
Et l’aventure semble repartie de plus belle. L’année suivante Chicago XIV propose une empreinte digitale très réussie. Chicago XV est un best of qui comptabilise près de 70 typos différentes pour écrire Chicago. Autodérision, revanche typographique ou vent de liberté ? Chicago XVI tente de casser l’identité visuelle en attribuant une toute petite place au logo au point qu’une loupe est nécessaire à sa vision. XVII semble emballé par Christo. XVIII et XIX ne ressemblent à rien. XX est un nouveau Greatest Hits dont la pochette semble avoir été réalisée par un stagiaire qui a découvert Photoshop. pour le 21e album, le nom(bre) est mis en avant et l’on distingue à peine le logo. On commence à se demander quel effet ou filtre n’a pas encore été utilisé. XXII propose un titre : Night and Day. N’est-ce pas trop tard ? Entre patchwork psyché et tissu soyeux, XXIII et XXIV sont des compilations avec mise en abîme et mosaïque. Rions un peu, XXV nous souhaite un… joyeux noël. XXVI est un Live qui nous enmènne on the road. À défaut de titre, les numéros des albums sont de plus en plus présents sur les pochettes. Il faut attendre XXXI pour voir apparaître l’image pour assez évidente du sceau.
Le titre de leur 33e album, Stone of Sisyphus, résume à lui seul la relation entre le groupe et son identité visuelle. Qu’a fait ce groupe pour mériter cette éternelle pochette qu’il pousse comme Sisyphe son rocher. Peu importe dirait Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux. Et comme tout groupe, Chicago a d’abord trouvé son bonheur dans ses compositions et non dans leur emballage.