Autour du rock : chroniques, histoire des pochettes et des chansons
1 Janvier 2019
Le folk en général et celui de Dylan en particulier tombent au bon moment. Musicalement, le folk comble le vide laissé par le rock qui a sombré dans le divertissement. Politiquement, le folk engagé répond aux aspirations des jeunes américains de « gauche » qui militent pour les droits de l’homme ou contre la chasse aux sorcières.
Bien qu’il s’agisse de son deuxième album, The Freewheelin’ Bob Dylan est le premier du chanteur en tant qu’auteur-compositeur interprète. Dylan sait qu’avec cet album, tout se joue. Le premier n’a pas vraiment marché (5 000 exemplaires écoulés ; Columbia avait misé sur le triple) et, pour le deuxième, il n’entend rien laisser au hasard. L’enregistrement des 13 morceaux demande près d’un an.
Dylan a débarqué à New York fin janvier 1961. Pour lui, New York est synonyme de richesse culturelle et cosmopolite, et surtout le lieu de toutes les rencontres. Bob a échoué à Greenwich Village, au sud de Manathan. Là se croisent poètes, chanteurs, écrivains, activistes politiques et marginaux. Dans les années cinquante, le Village a été rendu célèbre par la Beat generation. À l’époque, le jazz était à la mode. Mais lorsque Dylan arrive, les bars et clubs sont déjà passés au folk. Très rapidement le jeune homme intègre le circuit folk et se produit dans de nombreux lieux.
En avril 1961, Susan Elizabeth Rotolo a déjà remarqué Bob au Gerde’s Folk City, un bar italien très coté où il accompagne des combos à l’harmonica et a fait la première partie de John Lee Hooker. Mais Susan et Bob se rencontrent véritablement en juillet, après un concert folk à la Riverside Church, une église baptiste du nord de Manhattan,où Dylan se produit en reprenant de vieux standards folks. Bob a 20 ans, Susan en a 17.
Susan est née le 20 novembre 1943 à Brooklyn puis a grandi dans le Queen. Sa mère est chroniqueuse pour la version américaine de l’Unità, le journal du PC italien. Son père, sicilien, artiste et syndicaliste, meurt l’année de ses 14 ans. Susan commence à hanter le Washington Square Park et le Greenwich Village au tout début du revival folk. Elle est activement impliquée dans le mouvement des droits civiques et contrairement à Dylan possède une conscience politique très forte et très marquée. On la retrouve à des manifestations contre la politique nucléaire ou les injustices raciales.
Selon Dylan, leur rencontre fut comme une apparition. Elle était ce qu’il avait vu de « plus érotique » jusqu’alors : une « peau de bronze », des cheveux dorés, du sang italien, un sourire qui pouvait éclairer la foule. C’est la première fois qu’il tombe amoureux.
En janvier 1962, le jeune couple emménage dans un studio à 60 dollars par mois, au 161 West Fourth Street, dans le Greenwich Village. Leur relation est intense mais difficile. Lui est un self made troubadour au bord de la célébrité qui ne pense qu’à sa musique ; elle, une adolescente qui multiplie les engagements et les passions. Elle apprécie la musique mais aussi la poésie, le théâtre ou la peinture. C’est d’ailleurs en voyant la nature morte de Picasso Verre et bouteille de Suze (1912) qu’elle adopte son surnom.
Suze est comme un guide culturel. Elle fait partager ses passions à Dylan comme la peinture (Cézanne, Kandinsky, Picasso), la poésie (Byron, Verlaine, Rimbaud) ou le théâtre (Brecht, Artaud). À cette époque, Dylan lit énormément. Suze est aussi une militante. Elle est de toutes les causes de l’époque : engagement pour les droits de l’homme, contre le régime castriste… De ce point de vue, Dylan aussi lui doit beaucoup. Grâce à elle, il s’ouvre à la politique. Même si Dylan tient ses connaissances en matière de droits civiques de l’œuvre de Woody Guthrie, Suze n’est pas étrangère à son engagement. Elle devient comme sa conseillère et relectrice politique. Mais Suze est aussi sa muse.
Pour sa première pochette dont on doit également la photo à Don Hunstein, Dylan avait tenté d'imiter Woody Guthrie.
Fini les « fringues à la Guthrie ». Il est temps de tuer le père. Bob a en tête une photo de James Dean que Roy Schatt a réalisé 8 ans auparavant, une photo où l’acteur marche de manière nonchalante et faussement désinvolte dans les rues de New York. Bob trouve enfin ce qu’il cherche : une veste légère qui ressemble à celle du rebelle sans cause. À la différence près que Bob a une cause, voire plusieurs. Columbia ne s’y trompe pas et titrera sa lettre d’accompagnement promotionnelle de l’album « REBEL WITH CAUSE ».
[…] the jester sang […] in a coat he borrowed from James Dean […] le Bouffon chanta […] dans un manteau emprunté à James Dean « American Pie », Don McLean
Don propose de sortir. Suze passe par-dessus son pull un manteau pour les accompagner. Elle se sent engoncée, grosse comme « une saucisse italienne ». Il fait très froid et tout le monde a hâte que cela soit fini. Ils font le tour du quartier. Don demande alors à Dylan de s’éloigner de quelques mètres, de se retourner et de venir à sa rencontre. Dans Jones Street, une petite rue située entre la 7eavenue et 4th Street, il réalise des photos du couple. Ce n’était pas prévu. C’est l’un de ces clichés qui sera retenu.
“Snow was piled up the stairs an onto the street that first winter when I laid around New York City It was a different street then It was a different village Nobody had nothin There was nothin it get” Extrait de la prose poème de Dylan pour la pochette d’In the Wind (1963) de Peter, Paul and Mary. L’arrière-plan résume à lui seul la ville (immeubles de brique, escaliers de secours) mais aussi la génération à venir avec le combi volkswagen qui semble attendre son heure.
Ce couple bien réel qui avance blotti l’un contre l’autre pour lutter contre le froid a touché par sa spontanéité toute une génération. L’image tranche avec les pochettes de l’époque, terriblement sophistiquées, soignées et contrôlées par les maisons de disque comme celles de Blue Note par exemple. Suze parle de « marqueur culturel » dans la mesure où bon nombre de pochettes folk reprendront par la suite tout ou partie des ingrédients qui ont fait le succès de celle-ci, faisant de ces derniers des indicateurs d’un mouvement musical. Beaucoup proposeront des photos spontanées voire intimistes comme sorties d’un album de famille.
La sortie de son deuxième album mène Dylan sur la route des tournées. Il y rencontre Joan Baez et s’éloigne de Suze. En août 1963, Suze apprend qu’elle est enceinte. C’en est trop. Elle se fait avorter et se sépare de Bob. Suze n’était pas une groupie et c’est sans doute pourquoi la célébrité naissante de Dylan la gêne plus qu’elle ne la fait rêver.
Pour des millions d’adolescents, Suze demeure une figure légendaire et radieuse du folk. Jusqu’à la fin de sa vie, Suze est demeurée fidèle au Village. Elle y est décédée d’un cancer des poumons le 24 février 2011. Elle avait 67 ans.
Dans Vanilla Sky, (2001), un film de Cameron Crowe, le héros David Aames (Tom Cruise) marche en compagnie de Sofia (Penelope Cruz) dans les rues de New York. Un instant, la scène recrée la pochette de Dylan (dont « Fourth Time Around » de blonde On Blonde fait d’ailleurs partie de la BOF). David comprend qu’il s’agit d’un rêve et qu’il est influencé par les œuvres qu’il a aimées avant l’accident de voiture qui l’a défiguré.
Once (film irlandais de John Carney, 2007) raconte l’histoire de deux musiciens en compétition. L’affiche n’est pas sans rappeler la légendaire pochette.
Au printemps 2011, on trouve encore des références à ce cliché comme dans ce reportage photo réalisé pour Destination I Do magazine, revue consacrée aux couples et qui recrée les espoirs amoureux et les rêves de bonheur.
Comme pour toutes les pochettes mythiques, on dénombre de nombreux hommages ou plagiats. En voici quelques-uns parmi les plus manifestes.